Floyd - Vois le reflet dans le miroir et fais lui ton plus beau sourire

Couché sur le lit de fortune qui se trouve dans le coin de la pièce à barreaux qui m'est devenue beaucoup trop familière, j'attends, les pieds relevés sur le mur devant moi. C'est fou ce que le temps peut paraître long quand je suis ici, et pourtant, c'est comme ci je n'avais pas envie de sortir. On sait bien sûr que c'est inévitable, et imminent, après tout, le fils du plus grand tenancier de magasin de meubles du Nord ne peut rester en garde à vue. Ce n'est pas convenable. Il ne peut se montrer dans la rue au volant de sa moto, ce n'est pas convenable. Il ne peut boire une bière tranquillement assis dans le premier bar du coin, ce n'est pas convenable. Mais dans la vie, qu'est-ce qui est convenable ? Je pensais que ma vie l'était, avant, avant tout ça. Je vivais correctement, avec mes deux parents, dans une villa de taille moyenne et pourtant, bien trop classe pour les gens qui vivaient de l'autre côté du mur. Mon père était architecte, enfin, un petit architecte. Il travaillait cependant pour une grosse boite, qui elle, était vraiment bien connue. Comme tous les gosses du Nord, j'allais dans de bonnes écoles, j'avais de bonnes notes, et si ce n'était pas le cas, pas mal d'heures de cours particuliers. Je savais jouer d'un instrument de musique, le piano, qu'on m'avait appris à mon plus jeune âge, et je faisais du sport. Pas trop, je n'étais pas trop fan, et je détestais la transpiration. C'est fou comme les choses peuvent changer. Ma mère travaillait comme Assistante de direction dans un grand magasin de meubles appelé ButlerHouse. Oui oui. Ce n'était pas un boulot de rêve, mais ça avait l'air de lui plaire. Tout se passait plutôt bien, durant longtemps, je dirais jusqu'à mes dix-huit ans. Le fameux jour. C'est en partie là que tout a commencé à merder, clairement. Mes parents avaient organisé une immense fête, un peu trop démesurée quand on y pense, mais rien de choquant quand on vit au Nord. Tous les voisins étaient invités, avec leurs enfants, dont certains étaient mes amis depuis l'enfance, les joies de grandir dans le même quartier, et certaines filles. Car oui, le rêve de ma mère ? Avoir des petits enfants... Je ne sais pas si c'est encore le cas aujourd'hui, mais je pense qu'elle s'est fait une raison. Quoi qu'il en soit, ce jour là a marqué mon existence, et ce n'est en aucun cas à cause d'une de ces filles. J'appréciais ma fête, j'appréciais les invités, et les superbes cadeaux auxquels j'avais eu droit. Mon préféré ? Ma moto. C'était un cadeau de mon père, qui savait que j'adorai ça et que je rêvais de pouvoir en conduire une à moi. Mon père en avait possédé une autrefois, celle sur laquelle j'avais appris, mais les années lui ont été fatales et elle avait rendu l'âme. Et mon père n'avait plus la foi d'en reconduire une un jour. Je me souviens comme il riait quand nous sommes allés faire un tour ensemble, lui derrière moi, alors que nous plantions tous les invités à la fête. C'était le dernier bon moment de ma vie. A notre retour, la maison était vide, les invités partis, et une voiture de patrouille d'Elys campait devant l'entrée. Mon père m'avait regardé inquiet, avant de me dire que tout irait bien, que je ne devais pas m'en faire. Il avait enlevé son casque, et s'était dirigé vers la porte qui venait de s'ouvrir. Deux agents vinrent de chaque côté de mon père, et l'un lui passa les menottes. Je restais là, idiot, sans rien faire, alors qu'ils le conduisaient jusqu'à leur voiture. Ma mère semblait aussi choquée que moi, bloquée sur le perron, les larmes dévalant ses joues. C'est à ce moment là que j'ai pété les plombs. J'ai hurlé, poussé les agents, essayé de libéré mon père. Je me suis mis entre eux, et cette putain de voiture. Quand j'y pense, j'aurai du la bousiller. Ça aurait peut-être mieux marché.

Après ça, des semaines se sont passées avant que nous aillons la moindre nouvelle, avant le procès. Je ne savais même pas de quoi il était accusé. Quand je l'ai vu, en tenue orange, la barbe lui masquant le visage, lui qui était d'habitude, toujours rasé de près, j'étais en colère. Comment ils pouvaient lui faire ça ? Le menotter, le laisser comme un vulgaire détenu ? Quand nos regards se sont croisés, j'y ai lu tout l'amour qu'il nous portait, mais rien d'autre. Il m'a sourit et s'est assis, pour me laisser pour seul vision, son dos. Cela a duré plusieurs heures, dont je ne sais plus le nombre exact aujourd'hui, mais qu'importe. La sentence était tombée, et mon père avec. Vol et détournement d'heures au sein de l'entreprise. Il avait eu une amende correspondant à la somme détournée, ainsi que des années d'emprisonnement. Ma mère s'était effondrée, alors que moi, je brûlais de l'intérieur. Je n'y croyais pas. Comment mon père avait pu faire ça ? Il n'avait pas nié, il n'avait pas cherché à se défendre. Pourquoi ? Je connais mon père, et je connais la réponse. Parce qu'il ne voulait pas me mentir. Il avait vu mon regard sur lui, et il n'aurait pas accepté de me mentir tout en me regardant en face. Alors il avait laissé ces gens prouver tout ce qu'il avait fait, acceptant ce qu'il allait lui arriver. On savait très bien ce que serait son sort. Après le calcul de ses heures restantes, après l'amende, et ce qu'il perdrait en heures chaque jour, mon père allait mourir en prison. J'avais eu le droit de le serrer dans mes bras, une dernière fois, avant qu'ils ne l'emmènent.

Les années se sont de plus en plus assombries après ce jour là. Maman se renfermait, moi aussi, et bien sûr, chacun de son côté. Je partais tous les jours à moto, afin de ne pas avoir à lui parler, à parler à qui que ce soit. J'allais loin, et parfois à côté. Tout ce que je voulais, c'était rouler. Je me coupais du monde, pour aller faire quelques tours là où tout est plus dangereux. Le mur avait été ma maison, il représente maintenant ma liberté. Passé cette barrière, je pouvais être qui je voulais, sans qu'on ne fasse le rapprochement avec mon père. Je passais beaucoup de temps dans des clubs, dans des bars, avec des filles. Beaucoup de filles. C'était comme un exutoire. Et pourtant, quel plaisir j'en tirais ? Ma colère ne désemplissait pas, au contraire, plus le temps passait, et plus elle grandissait.

Mon premier séjour en prison est survenu après la mort de mon père, alors que j'avais vingt-deux ans. Une lettre d'un notaire m'est parvenu, pour me convoquer. Mon père avait un testament, je devais venir récupérer mon du. Ma mère aussi. J'avais eu le droit à une simple lettre, ma mère, avait  eu la maison. Je n'avais pas voulu la lire devant eux, car c'était les mots de mon père et ils m'étaient destinés. J'avais attendu d'être dans ma chambre, tranquille, seul. Je m'étais allongé sur mon lit, et j'avais regardé cette écriture qui me manquait depuis trop longtemps. Il me racontait ce qu'il avait fait, dans les détails, et m'expliquant que tout ceci avait un but, moi. Moi ? Oui, moi. Il avait placé tout l'argent détourné sur un compte intraçable car utilisé avec un autre nom que le miens. Il m'avait donné le nom d'une personne à aller voir, dans une petite banque de l'autre côté du mur. J'avais juste besoin d'y aller, de donner son nom et tout serait joué. Je l'avais fait. J'avais vu une certaine Margareth à l'accueil, une dame un peu âgée mais qui semblait encore en forme. Elle avait hoché la tête, m'avait demandé de poser mon bras sur la machine, et le transfert avait commencé. Plus les chiffres s'ajoutaient sur mon bras, moins je respirais. Il y en avait tellement. La première chose que j'ai faite, c'est retaper ma moto. Oui, elle avait déjà pris quelques années, et il fallait un peu la remettre à neuf. J'avais changé quelques pièces, la rendant plus puissante, plus bruyante, et j'avais fait une virée. Je m'étais arrêté dans un bar en ville, la moto garée devant comme si elle était intouchable. J’enchaînais les bières, enfin, ce qu'on appelait les bières, jusqu'à ne plus en pouvoir. Je sentais que ça tournait un peu, mais je m'en fichais, j'en avais besoin. Je repensais à ces heures sur mon bras, à la provenance de ce temps, à ce que ça avait coûté à mon père. La vie. Je savais que ma mère n'apprécierait pas, qu'elle me demanderait de les restituer, mais il en était hors de question. Mon père n'était pas mort pour rien, je n'allais certainement pas me séparer de ce pourquoi il s'est battu. Quand l'alcool me montait enfin à la tête, je me levais pour partir. J'en avais assez. Bien sûr, c'était sans compter sur le barman, qui n'était pas du même avis que moi. Il savait très bien que j'étais arrivé en moto, et il m'avait ordonné de rester assis. Il avait pris mes clés, chose que je n'avais pas acceptée. L'alcool sans doute, et ma colère. Je l'avais frappé, un peu trop je pense, puisque j'ai eu pas mal de frais d'hôpital à rembourser par la suite. Ça m'a coûté un petit séjour en tôle, avant que ma mère ne vienne me chercher. J'avais eu le droit à un joli serment, quelques avertissements, et finalement une dispute. Bien sûr, la raison n'était pas seulement ma bagarre. J'avais gardé le secret sur les heures que j'avais acquises, car elle n'avait pas besoin de le savoir. Elle en avait déjà trop fait.

Alors qu'on arrivait enfin à la maison, elle m'avait annoncé la nouvelle. Elle allait se marier. J'ai failli m'étouffer durant plusieurs secondes, avant que la tête ne me tourne et ne me fasse tomber sur le canapé. Je m'étais demandé si c'était une blague, jusqu'à ce que je la vois souriante comme si elle était enfin retombée amoureuse et que mon père n'avait jamais existé. Il s'agissait de Charles Butler, le grand patron du magasin où elle travaillait. Il était riche, célibataire depuis des années, sans enfants, et au physique qui en laissaient pas mal rêveuses. Le bon parti quoi. Sur le coup, j'étais content pour elle, pour ce que ça allait lui apportait, même si au fond de moi, ça avait encore plus nourri ma colère. Elle avait ensuite vendu la maison, pour aller vivre avec ce Charles. Apparemment, j'avais une chambre là bas, bien que j'avais refusé de vivre avec eux. On m'avait déjà obligé à porter son nom de famille, je n'allais pas en plus vivre sous son toit. Oui je sais, j'aurai pu refuser, mais le nom de mon père était sali, pas celui de Butler. Alors j'avais accepté, tout comme le poste qu'il m'avait proposé. Ma mère avait du lui en toucher quelques mots bien sûr, se demandant si j'allais un jour faire quelque chose de ma vie. Alors j'étais devenu manager adjoint du magasin ButlerHouse. Ouais, ça en jette hein. Sur le papier seulement. Croyez moi, voir sa face de rat tous les jours est la chose la plus répugnante au monde. Car Charles Butler n'est pas méchant, mais il vous fait toujours sentir à quel point vous êtes dépendant de lui. Il a essayé durant des années de remplacer mon père, jusqu'à ce qu'une guerre naisse entre lui et moi, et entre ma mère et moi. Il ne serait jamais mon père, qu'importe ce qu'il faisait pour moi. J'ai failli quitter mon boulot un jour, ouais, je voulais être libéré. Et pourtant je ne l'ai pas fait. Au fil des années, ma mère a commencé à se mettre de mon côté, à me dire que mon père serait toujours mon père, que je ne devais pas l'oublier. Et Butler n'a pas apprécié. C'est là qu'il a commencé à montrer son vrai visage. Ma mère était de plus en plus souvent absente au travail, prétextant une fatigue que je ne lui connaissais pas, ou bien un mal de dos. Hilarant pour quelqu'un qui a tous les meubles qu'elle veut. J'ai alors décidé d'aller la voir chez elle, pour voir réellement ce qu'il en était. Et le bleu qu'elle avait sur la joue gauche ne m'a pas plus. Depuis combien de temps cela durait ? Depuis quand elle me cachait ça ? J'étais en colère, bien trop en colère pour rester les bras croisés. J'étais retourné le voir, dans son bureau, après avoir fermé la porte à clé. Je lui en avais collé une, afin de lui montrer que je savais, j'avais hurlé tout ce qui sortait, ma colère envers lui, envers le monde entier. Mais j'avais baissé ma garde, et les rôles avaient été inversés. J'en avais pris une bonne couche, je l'avoue, j'avais eu une bonne raclée. Ce connard m'avait envoyé à l’hôpital avec une jambe cassée et des côtés fêlées. Rien sur le visage, ça laisse des traces. Bien sûr, ni ma mère ni moi n'avions parlé de ça. Ce n'était pas convenable. Et jamais on ne nous aurait cru. Alors quelques mois après ma guérison, quand j'étais retourné travailler, j'avais été convoqué dans le bureau. Il avait été clair, il voulait éviter toute rumeur au sein de son personnel. J'avais simplement hoché la tête, avant de tourner les talons. Alors que j'allais ouvrir la porte, j'avais seulement mis mes conditions. « Je ne dirais rien sur ce qu'il s'est passé tant que tu laisse ma mère. Au moindre bleu sur son corps, ou blessure morale, ce n'est pas ta réputation qui sera salie, c'est ton corps au fond du lac que l'on retrouvera. Papa... » J'étais sorti sans lui laisser le temps de répliquer. Papa. Rien que ce mot que j'avais utilisé à son égard me donnait la nausée. J'avais filé aux toilettes d'ailleurs. C'est la seule et unique fois que je l'ai utilisé avec lui.

Depuis, ma mère ne semble plus avoir de blessures, et elle sait qu'elle ne doit pas me mentir. Moi je reste au magasin, en tant que manager adjoint puisque ça me permet de le surveiller. Bien sûr, mes virées dans les bars ne se sont pas calmées, ni même les bagarres qui me font me retrouver ici. On change pas les bonnes habitudes après tout. D'ailleurs, je crois que ce cher Butler est arrivé pour payer ma caution. La sonnerie d'ouverture de la grille retentit, avant qu'on ne dise mon nom. Je me redresse, mes lunettes de soleil sur le nez, et je me diriger nonchalamment vers la sortie. « Mon casque de moto il est où ? » Une flic me le tend avec un regard méprisant et je me retourne pour sortir, Butler sur mes talons. « Pas de quoi surtout. » Je soupire, comme si j'allais lui montrer que je lui étais redevable. « C'est ton devoir de père il me semble. Salut ! » J'enfourche ma moto alors que je l'entend répliquer quelques mots, enfile mon casque et démarre. Le bruit assourdissant du moteur me fait sourire et le fait grimacer. Ce n'est pas convenable. Je lui fais un signe de main et je file, vers ce qui est ma liberté, vers le mur.